Syndicat Force Ouvrière du Casino Enghien

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Interview de Jean-claude Mailly dans les échos, sur la situation nationale

A-t-on franchi ces derniers jours un cap dans la réaction sociale à la crise?

Nous sommes entrés dans le dur des effets de la crise sur l’emploi. Dès le départ, nous savions qu’il y aurait des conflits de ce type et nous avons prévenu le gouvernement. Je n’encourage pas ni n’encourage certaines actions commises, mais la réaction des salariés est très compréhensible. Ils risquent de perdre leur emploi et n’ont aucune perspective. Beaucoup se demandent comment ils vont continuer à vivre, à payer leur loyer. Cela devient quasi existentiel.

Les syndicats ne sont-ils pas dépassés par la base?

Je ne pense pas. Il ne faut pas généraliser à partir d’ un ou deux cas. Partout, les syndicats sont présents. Cette crise exceptionnelle entraîne des mouvements exceptionnels si on se réfère aux dix ou quinze dernières années. Mais la France a déjà connu, auparavant, de tels conflits durs y compris avec les agriculteurs par exemple. L’action sociale dure fait partie de notre histoire et de notre culture. Les Français sont un peuple très politique, rebelle, et qui attend beaucoup des pouvoirs publics. Les événements actuels ne font que le rappeler.

Le gouvernement a sévèrement condamné les débordements. Comment jugez-vous sa réaction ?

Il est dans son rôle. Mais il reste prudent, en se gardant par exemple d’envoyer la police sur des sites occupés. C’est sage. Il ne sert à rien d’envenimer la situation. Je constate qu’il se démène pour essayer de débloquer les situations sur le terrain et c’est positif Il doit assumer et remplir ce rôle de « médiateur » qu’il avait eu tendance à oublier en laissant le champ libre au marché. Avec la crise, on retrouve un rôle plus actif des pouvoirs publics dans l’économie. Il ne faut pas que cela s’éteigne.

Joue-t-il ce rôle efficacement?

Il a des difficultés. Il peine encore beaucoup à faire pression sur les banquiers et il manque cruellement de moyens. Le Fonds stratégique d’investissement a un budget trop limité et des critères d’interventions flous. C’est bien la preuve que la France n’a plus les moyens de mener une vraie stratégie industrielle. Mais à un moment, si on veut intervenir, il faut de l’argent. A l’Etat de se doter des moyens nécessaires et d’outils puissants, comme a pu l’être le Ciri dans les années 80.

Une troisième mobilisation nationale est prévue ce vendredi 1er mai. Sera-t-elle aussi suivie que les précédentes?

L’objectif, c’est qu’il se voie. Et il se verra. Nous n’avons pas encore toutes les remontées et les prévisions sont plus difficiles à faire sur un jour férié. Mais dans beaucoup de départements, le nombre de cortèges prévus atteint des sommets et dépassent même la mobilisation constatée fin mars. Cette journée sera peut-être aussi l’occasion pour de nouveaux publics de se mobiliser eux aussi.

Au-delà de l’unité de façade, FO n’a t-il pas du mal à tenir sa place à côté des locomotives que sont la CGT et la CFDT ?

FO tient toute sa place. L’action commune n’a de sens que pour renforcer la solidarité et obtenir des résultats. Nous avons entre organisations des débats sur les modalités de l’action et dans l’unité d’action, chacun conserve ses propres analyses. Nous proposons par exemple que les huit appellent à une grève public/privé de 24 heures. Ce n’est pas une manifestation de plus qui fera bouger le gouvernement. Si nous voulons être efficaces, nous nous devons de changer de méthode. Nous remettrons donc cette proposition sur la table après le 1er Mai en espérant que toutes les centrales l’acceptent, pour des raisons d’efficacité, il faut un appel commun.

Nicolas Sarkozy a annoncé, vendredi, un vaste plan sur l’emploi des jeunes qui met l’accent sur la formation. Répond-il à vos attentes ?

Si certaines annonces vont dans le bon sens, je pense aux stages ; si nous soutenons la formation en alternance, il n’en reste pas moins que cela se traduit encore par des aides financières aux entreprises sans réellement disposer des moyens de contrôle pour éviter les effets d’aubaine. Sur les stages, il faudrait aussi interdire des stages hors cursus et valider les périodes pour la retraite. Par ailleurs, n’oublions pas qu’à la fin il faut aussi des emplois ce qui pose le problème de la politique économique. Face à la crise, le gouvernement agit à court terme et de manière limitée. Il manque d’ambition, en particulier au plan social

Que peut-on faire de plus pour favoriser l’emploi de jeunes ?

Nous demandons depuis longtemps une allocation d’autonomie qui leur permette vraiment de s’insérer dans l’économie. Voilà la vraie priorité. Mais je pense qu’il faudrait remettre au goût du jour, le temps de la crise, des régimes publics de préretraites assortis d’obligations d’embauches de jeunes. Soyons francs: c’est bien ce qui se passe en ce moment, mais ces départs précoces sont pris en charge par les entreprises et les Assedic.

C’est piquant de vous voir revendiquer le retour des préretraites alors que vous ne cessez de dénoncer le sous-emploi des seniors…

A circonstance exceptionnelle, mesure exceptionnelle. Je suis pragmatique. Je considère que la réaction du président de la République montre qu’on a visé juste.

FO défend une hausse du Smic et des salaires. La priorité n’est-elle pas au plutôt de concentrer les moyens sur la lutte contre le chômage?

Face à une telle crise dont personne ne connaît la durée, il faut jouer sur tous les leviers. Le plan de relance n’apporte pas la réponse globale qui est nécessaire. Tenter de rétablir la confiance des chefs d’entreprises et des banquiers ne suffit pas. Il faut aussi restaurer celle des salariés. Je note la mise en place du Fonds social d’investissement et je me réjouis du rétablissement de l’allocation d’équivalent retraites, mais cela reste limité. L’Etat employeur et le patronat doivent prendre leurs responsabilités et augmenter les salaires. La consommation est le premier moteur de l’économie française et il faut la soutenir réellement pour des raisons d’efficacité sociale et économique. On ne peut pas se contenter des quelques mesures de saupoudrage annoncées jusqu’ici.

Quelles autres mesures immédiates préconisez-vous ?

Il faut une loi conditionnant les aides versées aux entreprises à des contreparties, notamment sur l’emploi. Nous le demandons depuis plusieurs années. Face à l’urgence, faisons le au moins sur toutes les nouvelles aides versées en ce moment. La règle doit être claire dès le départ pour les entreprises : si une entreprise sollicite d’une manière ou d’une autre une aide publique, elle aura des contreparties et devra rembourser si elle ne les respecte pas. En outre, quand l’Etat entre au capital d’une entreprise, il devrait automatiquement avoir des représentants au conseil d’administration.

Le gouvernement doit-il tenir un langage plus positif à propos de la crise ?

J’ai noté, comme d’autres, un changement de ton depuis le G20 de Londres. Un discours positif, une positive attitude, ne peut se justifier qu’à partir d’éléments tangibles. Pour ma part, je ne vois pas les signes de reprise qui justifieraient davantage d’optimisme que cet hiver. Quand je regarde les chiffres les plus récents, il est clair que le monde n’a aucune visibilité à moyen ou long terme.En France comme ailleurs, les signes encourageants se font attendre, c’est le moins que l’on puisse dire !

Laurence Parisot pense que le moment est venu, pour les partenaires sociaux, de se remettre autour de la table. Partagez-vous ce sentiment?

Il faudrait d’abord que la présidente du Medef et les syndicats aient la même définition du paritarisme. Il y aura sans doute une réunion avec des représentants de chaque organisation ces prochains jours pour aborder la question. Mais si c’est pour parler de faciliter les procédures de licenciement, la rencontre tournera court. Je ne suis pas contre la pratique de la délibération sociale chère à Laurence Parisot, dès lors que les discussions à bâtons rompus ont vraiment lieu. Cela n’a pas toujours été le cas par le passé, sur la représentativité syndicale par exemple. Récemment, c’est vrai, le patronat a donné des signes d’ouverture, sur les retraites complémentaires et les stages en entreprise. Il faudrait que cela arrive plus fréquemment.

La crise oblige-t-elle à reparler de l’âge de départ en retraite, comme le dit le patronat?

Sur ce dossier, c’est niet ! Ceux qui veulent reculer l’âge de la retraite pour soulager les finances des régimes sociaux devraient réfléchir à l’origine de la crise. Nous sommes face à un phénomène structurel, je le dis depuis des mois, il faut donc trouver des solutions structurelles, par exemple au niveau fiscal. Car, sinon, dès qu’une éclaircie se manifestera, on recommencera à tailler dans les dépenses publiques, sociales. Et cela, c’est inacceptable. Mais inévitable. Comment voulez-vous réduire un déficit de plus de 100 milliards d’euros? Je vais vous dire une chose : le déficit public ne m’empêche pas de dormir. Alors, comment faire ? Eh bien, à tout prendre, je préfère le retour à un peu d’inflation plutôt que de devoir travailler jusqu’à n’en plus finir. Par ailleurs, je suis favorable à une grande réforme fiscale.

Vous proposez une augmentation des impôts ?

Non. Mais, dans la période que l’on est en train de vivre, le sentiment d’injustice sociale est très fort. La fiscalité fait partie des réponses à y apporter. Il y a urgence à mener une réforme d’ensemble, en réhabilitant l’impôt sur le revenu, qui est le plus progressif et donc le plus juste. Aujourd’hui, seul un ménage sur deux le paie alors que le plus grand nombre de Français devrait y contribuer. Il y a aussi toutes les niches fiscales. C’est toujours quand l’impôt a été le plus juste et le plus simple en France que les inégalités ont été les moins fortes. Dans la même logique, il faut remettre en cause la loi Tepa et le bouclier fiscal.

Au coeur de la réforme de l’hôpital, il y a le projet de concentrer le pouvoir dans les mains du directeur. En quoi est-ce une mauvaise idée selon vous?

Ce qui nous pose problème, c’est le lien que le gouvernement veut établir entre d’un côté l’acte de soin, la rémunération du médecin et, de l’autre, la logique d’économie. Là, je dis : « attention danger ». Car c’est faire entrer l’hôpital dans une spirale mercantile. Le gouvernement voudrait que les établissements hospitaliers publics soient gérés comme des entreprises privées. On le voit aussi au travers de la tarification à l’activité, qui conduit à privilégier les activités les plus rentables. Et puis, quel sera le pouvoir d’un directeur soumis au bon vouloir de l’Agence régionale de santé, donc du bras armé de l’Etat en région?

Propos recueillis par Guillaume Delacroix, Jean-Francis Pécresse et Derek Perrotte



28/04/2009
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